IMMERSION & ACTE DE BÂTIR

Quelle est l’influence de l’immersion sur l’acte de bâtir ? Pourquoi sortir hors les murs de l’école aujourd’hui ? Pour Yvann Pluskwa c’est un temps pour interroger les responsabilités de l’architecte et développer ses postures comme des opportunités de projet. > lire la suite

DE L’INFLUENCE DE L’IMMERSION SUR L’ACTE DE BÂTIR

TEXTE DE YVANN PLUSKWA, architecte et enseignant

Extrait de la publication des travaux sur le parc naturel régional des Préalpes.

« L’architecture «classique» transforme le monde afin de le rendre favorable à l’homme. Elle transforme les choses pour les adapter à l’usage de l’homme, alors que l’architecture de «survie» essaye de «transformer la manière» dont l’homme utilise les choses existantes. (…) Ces transformations permettent l’adaptation de l’homme et de son environnement dans une «coéxistence pacifique». Yona Friedman, architecte.


RESPONSABLE :

Cette définition de Yona Friedman pose une nouvelle manière de penser l’acte de bâtir et, la place de l’homme dans cette opération raisonne avec les changements de paradigme (climat, ressources, pollutions…) qui réinterrogent notre relation au monde. L’architecte en tant qu’acteur admet de nouvelles responsabilités, de nouvelles manières de concevoir, de bâtir mais aussi de considérer le monde.
Ces responsabilités opportunes offrent la chance de rencontrer le monde et les autres sous une forme plus complète, plus riche, plus nourri, et qui (en référence à Aristote), au-delà de répondre de ses actes fait prendre conscience de ce qui est sous son autorité. Être responsable ne reviendrait donc pas juste à assumer une somme d’intentions produit de nos propres décisions, mais serait le fruit d’une mure réflexion et d’une attention portées aux choses et aux êtres.

Il est nécesssaire d’être en quête. Il faut alors prendre place, position, s’ouvrir, embrasser le monde (ouvrir ses bras pour accueillir l’altérité), tendre l’oreille (tourner sa tête, tendre le coup, amplifier physiquement sa capacité auditive), scruter les horizons, les usages, (fouiller du regard, déplacer les choses) s’immerger (plonger le corps entier dans les lieux), se fondre (faire un avec le monde dissoudre notre altérité à celle pre-existante), arpenter le territoire, (mesurer avec les pieds l’espacement des choses leur corrélations et leur sens), prendre de la hauteur, se tenir proche, ou errer, jusqu’à se perdre…


Cet art de l’observation convoque une présence et une mise à l’épreuve du réel par l’expérience pour aller à la rencontre du monde. Une présence physique et intellectuelle, une présence totale, une immersion à la fois complète et distanciée, critique et partisane combinant plusieurs attitudes, plusieurs démarches afin de mieux rendre compte de l’exhaustivité du monde sans pour autant pouvoir l’épuiser.
Rencontre qui conduit chaque fois à choisir des attitudes, des points de vue et des postures spécifiques. Posons ici l’hypothèse que le conquérant et le curieux, pourraient être les premières d’une série de postures pour se connecter au monde.


LA POSTURE DU CONQUÉRANT:

Sous une forme active, et déterminée, à la manière du conquérant, en quête de ressources pour le projet, il faudra parcourir le territoire, éprouver son relief, fouler les sols, tester l’hospitalité des lieux, chercher leurs secrets, leur histoires, leur récits, leur liens…depuis ses limites, ses ramparts naturels ou artificiels, depuis ses hauteur, ou au contraire depuis ses berges, ses plateaux, ses terrasses dans le méandres de ses formes.
Il faudra observer les lieux et utiliser un déchiffrement transdisciplinaires et personnel, éprouver son sens, ses logiques son imaginaires, ses ressources, ses occupations, en prendre la mesure.
De cette lecture par cette posture conquérante naitront des opportunités de projets, ici au bord de l’eau des lieux de rencontre apprivoiserons les nouvelles limites lacustres pour mieux se réunir, là une ferme aquacole transformera une eau morte en eau de vie et, plus haut sur les terrasses pourront s’établir des production maraichères partagées.

LA POSTURE DU FLANEUR :

Une fois la posture du conquérant expérimentée, une contre posture pourrait s’engager, celle du flâneur. Par cette posture on entend une attitude lascive, abandonné qui se laisserait saisir totalement du monde sans filtre ni à priori à travers une forme d’étonnement et de curiosité maximum pour en comprendre depuis l’intérieur pure sa signification.
À la manière d’un papier photosensible par le jeu d’une nouvelle mise à l’épreuve des lieux et des êtres adviendrait un monde nouveau neuf, autre, singulier un monde inconnus préalablement qui n’émergerait que sous la condition nécessaire de notre abandon. De cette posture ce qui paraissait une barrière pourrait devenir une ressource, ce qui était mort pourrait devenir vivant, ce qui serait a priori inhospitalier pourrait devenir accueillant.
Debout, immobile ou en mouvement, à l’écoute, en errance ou en chemin, installé ou en immersion, ces mises à l’épreuve du monde par l’expériences sensible et leurs multiples retranscriptions (dessins, croquis furtif, croquis d’observations, photos, film, prise de son, notes, entretiens, écriture automatiques, mesures, relevés, plans, schémas, diagrammes maquettes, collages) sont autant d’atouts majeurs comme des cartes du monde à concevoir pour mieux agir et projeter avec plus de justesse.

Développer ces techniques, cultiver ces postures sont autant d’opportunités pour devenir plus responsable et plus attentif et l’apprentissage hors les murs en est une des conditions possible.