BIENNALE D’ARCHITECTURE DE VENISE

2016. Présentation au pavillon français de la biennale d’architecture de l’atelier des horizons possibles dans l’archipel des îles d’or, sur le thème “Nouvelles richesses”, “Les écoles d’architecture sont pionnières. Elles sont « au front » sur des sujets peu explorés, auxquels peu de moyens sont dédiés, mais qui correspondent tous à de grands besoins”.

PAR FLORENCE SARANO & YVANN PLUSKWA

enseignante-chercheure TPCAU

ENSA MARSEILLE

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EXPOSITION À LA BIENNALE D’ARCHITECTURE

NOUVELLES RICHESSES

2016 – PAVILLON DE LA FRANCE

OBRAS – Collectif AJAP14

Publication article dans le catalogue

M

Le travail de l’atelier a été exposé dans le cadre de la biennale et dans présenté dans le catalogue de l’exposition.

LES ÉCOLES D’ARCHITECTURE SONT PIONNIÈRES

“Les Écoles d’Architecture sont pionnières. Elles sont « au front » sur des sujets peu explorés, auxquels peu de moyens sont dédiés, mais qui correspondent tous à de grands besoins : l’aménagement des territoires ruraux, des territoires périurbains, de cette ville diffuse plutôt malmenée mais où 40% des citoyens habitent pourtant, l’habitat informel, l’habitat pour les plus pauvres d’entre nous, la constitution de circuits courts de la construction et l’exploration des capacités des filières locales, des codes constructifs plus sobres, etc.

Salle de l’exposition sur les écoles.
LE PROJET DU Pavillon français

Par ces nouvelles du front, en France, nous voulons montrer comment la condition économique qui s’installe durablement – inégalités croissantes, financiarisation, concurrence métropolitaine mondialisée – suscite des organisations nouvelles qui déplacent le sens de la richesse. C’est une approche résolument optimiste.

Nous ne croyons pas au vertige de la concurrence des territoires, nous croyons au contraire qu’il y a partout d’immenses ressources, des complémentarités, des valeurs latentes à mobiliser, révéler, fertiliser. C’est un des rôles de l’architecture d’aujourd’hui.

Les politiques publiques s’étiolent, l’urbanisme contemporain assemble des produits immobiliers dont le relookage façadier peine à masquer la standardisation étriquée et, ça et là, quelques centaines de millions de dollars donnent à deux ou trois grands couturiers de dispendieuses illusions. Nous voulons témoigner de tout le reste, moins visible, émergeant pourtant de partout, sur tous les territoires, et qui révèle des richesses insoupçonnées.

ARCHITECTURE ORDINAIRE, TERRITOIRES FAMILIERS.

Les grands projets exceptionnels, les nouveaux quartiers des grandes villes les plus riches mobilisent en effet l’attention. Ces projets ne sont pas en eux-mêmes un problème : les métropoles portent incontestablement une part importante de l’innovation, quand elles ont la chance d’une gouvernance éclairée et des moyens suffisants à y consacrer. De Jean Nouvel à LAN, de l’île de Nantes à Paris Batignolles, c’est depuis l’étranger la part visible de l’architecture française. Cependant, cette focalisation laisse penser que le reste du territoire est abandonné à un développement automatique, à peine réglementé par une planification encore immature, où l’architecture serait rare, sans réflexion collective et sans attention. C’est peut-être l’impression que laissent les lotissements résidentiels ou les zones d’activité uniformes.

Nous pensons que tous les territoires présentent des ressources et des atouts. Des qualités extraordinaires sont latentes, dans tous les sites ordinaires du territoire français. Pour peu que l’on y prête attention, qu’on les cultive, qu’on les révèle… Ceci est vrai pour tous les champs, dont l’économie : à force de répéter que la richesse, liée à la mondialisation, est créée par les grandes métropoles, on ne sait plus que penser des autres lieux, ni même, au sein des métropoles, de ceux qui accueillent, souvent de manière très précaire, tous ceux qui sont exclus des revenus comme de la rente.

C’est vrai pour l’architecture : à force de célébrer les « star-architectes » et les projets dispendieux, on oublie que l’architecture apporte des réponses simples, adaptées, partagées et efficaces dans la plupart des situations, plus ordinaires et plus modestes, l’essentiel des lieux où nous habitons, où nous travaillons. C’est de cela dont nous parlons ici.

NOUVELLES RICHESSES

Toutes ces expériences témoignent d’une « nouvelle richesse », dont l’évaluation n’est pas uniquement monétaire. Dans ces projets portés collectivement se jouent des alternatives démocratiques à la mondialisation financière, des échanges d’une autre nature. Ils ne s’opposent pas nécessairement au mainstream de l’économie de l’aménagement, en particulier de celui qui se joue au cœur des métropoles, mais ils le complètent, l’accompagnent, et, au besoin, en nourrissent l’innovation.

Cette nouvelle richesse est faite de ressources locales, d’échanges reconfigurés, de démocratie citoyenne.

DE RESSOURCES LOCALES

On oublie généralement dans l’évaluation des richesses, les ressources latentes et actives de certains territoires telles que l’alimentation, l’eau, les matières premières et l’énergie, qui ne se trouvent pas dans les grandes métropoles. Or, certains projets locaux mobilisent avec utilité et bénéfice ces ressources, parfois au bénéfice des parties les plus riches du territoire. Par exemple, si l’Île-de-France a perdu sa dernière scierie il y a quelques années, alors qu’elle dispose d’un massif forestier conséquent, il faut qu’elle compte sur la force et l’inventivité des autres régions dès que du bois y est mis en œuvre.

Le petit village des Vosges dont nous rapportons l’engagement a ainsi quelque chose à apporter au Grand Paris. Ces ressources sont matérielles, naturelles, énergétiques, elles sont aussi humaines : le territoire est un conservatoire vivant des savoir-faire, une source d’invention.”

SCÉNOGRAPHIE
SALLE 1 : TERRITOIRES

Nous avons souhaité rendre compte de lieux ordinaires, dont on parle peu mais où beaucoup d’entre nous passent, habitent ou travaillent. Des lieux banals, familiers, qui ne font pas toujours l’objet d’une grande attention. Pourtant, dans ces lieux, des transformations adviennent : un nouvel équipement s’installe, une promenade se construit, … Lorsqu’un peu d’intelligence collective est investie pour penser ces transformations, ces lieux s’en trouvent bonifiés, dans l’intérêt de tous.

Nous avons choisi dix lieux ainsi transformés, explorés par les photographes du collectif « France Territoire Liquide ». Successivement, trois images rapportent chaque réalité territoriale. La première montre ce lieu ordinaire brut, que nous n’avons souvent pas l’habitude de regarder ; ce sont des situations banales françaises, que l’on repère aussi chez beaucoup de nos voisins. La seconde image révèle dans ce site une transformation récente, une architecture qui décale la perception. On y sent une attention particulière. La troisième image se rapproche plus encore. L’architecture transfigure, améliore la situation, apporte là quelque chose d’inédit, d’autres usages aussi. Un autre univers. Le paysage est altéré, pour le meilleur.

Nous montrons des architectures ou cette transgression se fait avec une douceur, sans que le contraste entre ce qui est nouveau et médité et ce qui résulte d’une planification plus standardisée ne fragilise ce qui préexistait, et demeure, bonifié, tout autour.

L’architecture porte ici une responsabilité particulière, une responsabilité publique. Ses effets sont d’autant plus bénéfiques qu’elle est portée collectivement, bien au delà de l’architecte, par les élus, citoyens, usagers, entreprises, etc.

La grande salle centrale du pavillon est le lieu de découverte de ces paysages ordinaires amendé par ce travail d’architecture.

SALLE 2 : RÉCITS

Dans la salle de droite « récits », six enquêtes dans six lieux témoignent du travail collectif entre élus, architectes, citoyens et entreprises, des rencontres pour établir le projet, de la manière dont s’est jouée leur mise en œuvre. Nous nous sommes répartis le travail et sommes allés sur place rencontrer les maires, les habitants, les maîtres d’œuvre, les constructeurs… Dans ces reportages, chacun raconte son expérience particulière du projet, son engagement.

Cet engagement est vital : contribuer à la transformation de son territoire est une manière noble et enthousiasmante de faire de la politique. L’architecture sert ici de lien, fédère les points de vues et regroupe des intérêts parfois divergents autour d’une même proposition.

L’histoire de ces projets simples mais remarquables pourrait être plus commune, plus fréquente. Rien n’est ici ostentatoire, indépassable. On a peu de moyens, on construit avec… La sobriété attise la créativité.

Les relations entre « client » et « architecte » sont bousculées. D’autres méthodes s’inventent, entrelacent des échelles de réflexion distinctes, l’énergie des associations, des faisceaux d’opportunités très riches.

Ces récits nous parlent des enjeux d’aujourd’hui : comment mieux vivre ensemble, comment construire avec économie, sans dépense d’énergie et de matière inutiles, comment obtenir des espaces dont on est fiers, que l’on parcoure avec plaisir. Chacun y trouve son compte. Cela intéresse chacun d’entre nous, que l’on habite un village, les alentours d’une petite ville, un faubourg, une métropole, un centre historique. Et la démocratie a tout à gagner à cette richesse citoyenne : l’architecture, c’est aussi cela.

SALLE 3 : SAVOIR-FAIRE

Dans la salle de gauche « savoir-faire », nous montrons la matérialité de six autres projets, le sens que leur mise en œuvre donne au territoire, à ses ressources humaines et économiques.

Ces architectures sobres stimulent l’économie locale : le crayon de l’architecte s’allie à la scie, au coffrage, au moellon de pierre et à la planche. La construction des nouveaux quartiers des métropoles s’appuie sur une industrie standardisée très consommatrice de matière. La France est une grande championne de l’excès de béton, matériau pourtant fabuleux. Mais partout, dès que la situation est plus frugale, des alternatives surgissent.

Les confins, la ville diffuse, le rural et les territoires intersticiels, même au sein des métropoles, apportent des solutions très inventives, toujours en lien avec des ressources locales.

Les savoir-faire gagnent beaucoup à l’expérience de ces projets d’architecture. Le maçon, le serrurier, le charpentier ou le couvreur apportent leurs outils, qui sont bonifiés à leur tour par ces constructions inédites et engagées. C’est une nouvelle richesse. L’architecture encourage le développement des filières constructives, la formation, les talents des uns et des autres. La pierre, la terre, le bois, le métal, – le béton même – retrouvent une plus juste place dans nos paysages habités.

Nous avons réalisé de grands dessins explicatifs pour en mettre en relation les solutions architecturales, le « détail et la coupe », avec l’environnement urbain, le paysage. La frise est continue, comme une longue anamorphose qui passe des infrastructures du nord de Paris à la silhouette rebondie des collines vosgiennes. Nous partageons le même territoire.

Construire, c’est établir des liens avec le lieu. La matière de l’architecture est territoriale, elle aussi politique, fédératrice.

SALLE 4 : TERREAU

Les expériences rapportées ne sont pas isolées. Le « front » est multiple. Nous avons fait l’hypothèse que le territoire national bouillonnait d’expérimentations et de propositions. Nous avons lancé un appel national aux écoles d’Architecture, ainsi qu’aux instances de conseil et de pédagogie de l’architecture qui travaillent sur le territoire national : Maisons de l’Architecture, Architectes-conseils de l’Etat. Les réponses ont été très nombreuses. Nous rendons aussi compte d’autres projets réalisés, qui auraient pu, parmi des centaines d’autres, figurer dans les trois premières salles.

Les Ecoles d’Architecture sont pionnières. Elles sont « au front » sur des sujets peu explorés, auquels peu de moyens sont dédiés, mais qui correspondent tous à de grands besoins : l’aménagement des territoires ruraux, des territoires périurbains, de cette ville diffuse plutôt malmenée mais où 40% des citoyens habitent pourtant, l’habitat informel, l’habitat pour les plus pauvres d’entre nous, la constitution de circuits courts de la construction et l’exploration des capacités des filières locales, des codes constructifs plus sobres, etc.

Les conseils aux territoires, interviennent en amont auprès des élus comme des citoyens et des institutions, ils travaillent sur les mêmes sujets.

Pour l’architecture, ces thèmes explorés aujourd’hui sont des sujets à venir.

Ce bouillonnement constitue un terreau semble-t-il inépuisable, une preuve de la vivacité de la réflexion, de l’engagement des architectes sur les défis de société. Dans l’exposition, nous en rendons compte dans la troisième salle face à l’entrée. Les initiatives, les recherches, les ateliers, les expériences sont cartographiées, mis en situation dans leur géographie. Nous avons réalisé une carte à partir des fichiers de l’Institut National de l’information géographique et forestière, qui associe chaque expérience avec son milieu. Les images et les textes qui nous ont été transmis par les contributeurs sont projetés successivement.


SALLE 3 : SAVOIR-FAIRE

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